L’exploration spatiale nous donne une perspective unique sur la Terre
Luca Parmitano, Astronaute
European Space Agency, Cologne, Allemagne
“Lorsque nous parlons de consommation et de production responsables, la Station spatiale internationale peut être considérée comme un bon exemple. Dès sa conception, toute l’énergie de la station est fournie par le soleil. L’eau y est recyclée à près de 95%. Mais plus que cela, l’exploration spatiale nous donne une perspective unique sur la Terre. C’est notre seul moyen pour prendre conscience qu’il s’agit d’une planète unique. Les images que nous envoyons tous les jours depuis l’ISS sont à elles seules des histoires bonnes ou mauvaises de ce que nous faisons à notre planète.”
Interview
Je m’appelle Luca Parmitano, je suis astronaute à l’Agence Spatiale Européenne, et j’ai effectué deux vols dans la Station spatiale internationale, en 2013 puis entre 2019 et 2020. Ma première expérience à bord a été la mission « Volare » pendant 166 jours, j’ai volé sur Soyouz, qui s’appelait TMM09. C’était mon premier vol, j’étais ingénieur de bord. Ma deuxième mission en 2019 a été lancée depuis le Kazakhstan sur un autre type de Soyouz appelé MS30, cette fois en tant que pilote du Soyouz puis en orbite sur la Station spatiale internationale (ISS), comme commandant de l’ISS pendant la 2ème partie de la mission soit environ quatre mois et demi.
Lorsque nous parlons de consommation et de production responsables, la Station spatiale internationale peut être considérée comme un bon exemple. Dès sa conception, toute l’énergie de la station est fournie par le soleil. L’ISS a été construite avec des panneaux solaires qui recueillent et stocke l’énergie dans des batteries en prévision des parties de l’orbite où elle n’est pas éclairée par le soleil. Ce système a fonctionné pendant de nombreuses années avec des batteries au nickel-hydrogène, jusqu’à ce qu’elles montrent leurs limites, et soient remplacées par une nouvelle technologie, les batteries au Lithium -Ion. Grâce à cette nouvelle technologie, qui a remporté le prix Nobel il y a deux ans, nous avons pu mettre à niveau le système énergétique de la Station spatiale pour l’introduire dans le XXIème siècle. Tout récemment, nous avons mis à niveau les panneaux solaires avec une nouvelle génération de panneaux plus petits mais plus puissants, et ces panneaux solaires sont actuellement testés d’une certaine manière sur la Station spatiale car ce seront eux qui utiliseront à l’avenir les stations autour de la Lune et qui sait peut-être des engins spatiaux qui iront plus loin que la Lune.
Nous essayons aussi de recycler autant d’eau et d’air que possible. La Station spatiale n’est pas étanche à 100 %, et nous avons donc une petite perte d’oxygène et d’autres gaz. La plupart du temps, nous sommes en mesure de recycler l’atmosphère en épurant le CO2 tout en l’utilisant éventuellement à d’autres fins. Jusqu’à il y a quelques années, nous avions un système qui utilisait ensuite le CO2 pour produire du méthane et de l’eau, et nous pouvions donc aussi le recycler. Mais en épurant le CO2, nous n’avons tout simplement plus besoin de repressuriser le Station spatiale aussi souvent.
La plus grande réussite est sans doute le recyclage de l’eau. Actuellement nous sommes en mesure de recycler environ 92 à 95 % de l’eau grâce à notre système de traitement de l’eau, plutôt que de l’envoyer depuis la Terre dans des conteneurs spéciaux ce qui revient très cher. Cette technologie que nous avons développée devrait être rendue disponible partout sur Terre en particulier dans les endroits où l’eau est une denrée très rare. Plus récemment, nous essayons de mettre au point un système d’extraction de l’eau depuis les déchets solides.
Certaines des expériences que nous menons sur la Station spatiale s’inscrivent tout à fait dans la logique de la consommation et de la production responsables. Je pense notamment aux expériences qui fonctionnent sur les biocarburants. Nous savons tous qu’en tant qu’humanité, nous devons nous éloigner des combustibles fossiles, les combustibles fossiles sont rares, ils ne seront pas là pour nous pendant longtemps et ils sont extrêmement polluants. D’où l’idée d’étudier des carburants non fossiles, des carburants biologiques pouvant être renouvelables, et pouvant être étudiés afin de diminuer au minimum les caractéristiques polluantes de ces carburants lors de la combustion. Je pense que c’est quelque chose qui capte vraiment mon imagination et mes espoirs, en particulier en orbite la combustion est plus simple à étudier, car la flamme est parfaitement sphérique et aussi cela nous permet de voir des effets que vous ne pouvez pas étudier au sol, et donc j’espère à partir de ces études, à l’avenir, nous sortirons de nouveaux biocarburants qui réduiront l’impact sur l’environnement de nos activités humaines.
L’exploration spatiale nous donne une perspective unique sur la Terre. C’est le seul moyen pour nous de voir la Terre comme une planète unique. Il est difficile de réaliser à quel point nous avons de la chance d’être sur Terre, car nous avons tendance à tout prendre pour acquis, car c’est là, c’est à notre disposition, et tout simplement nous le prenons. Lorsque vous êtes loin et même si 400 km ne semblent pas être une grande distance, vous prenez conscience que même les plus petites choses peuvent être extrêmement précieuses, et en les voyant de loin, vous ressentez à quel point la Terre est vraiment fragile. L’atmosphère est une ligne très très fine et elle protège tout ce qui est vivant dans l’univers que nous connaissons. Il n’y a pas d’autre planète comme la planète Terre, nous n’avons pas trouvé d’autres, certainement pas dans notre système solaire, et nous ne sommes pas encore une espèce interstellaire. Alors l’idée qu’il faut protéger cette planète, la seule qui soit actuellement habitable, semble évidente à tous ceux qui l’ont vue d’en haut.
Les images que nous partageons au quotidien racontent toutes une histoire : parfois il s’agit de belles histoires, quand nous pouvons aider les agriculteurs pour leurs récoltes; Mais parfois ce sont des histoires terrifiantes, qui montrent de terribles événements météorologiques. Nous les avons tous vus, les ouragans, les incendies, les inondations, et d’autant plus ces derniers temps en raison du changement climatique, qui d’une certaine manière a été favorisé par nos modes de vie. Si nous devons changer nos modes de vie pour stopper le changement climatique et peut-être dans de nombreuses années l’inverser, alors nos histoires et nos images en seront aussi le témoignage.
Quand j’étais sur le point de quitter la Station spatiale pour la première fois en 2013, j’ai regardé la planète Terre et j’ai réalisé à nouveau à quel point elle était unique et j’ai décidé d’écrire quelques lignes pour l’exprimer. Si j’étais un voyageur de l’Espace ayant parcouru des milliers de kilomètres, ou des millions de kilomètres, ou des années-lumière, et qu’au terme de ce long voyage, je découvrais la Terre, je serais fasciné par sa couleur bleue, par son eau, par le vert de ses collines et de ses pâturages, par le blanc des montagnes enneigées, je serais surpris par la brise de l’air, je voudrais sentir le sel de la mer, et le sable sous mes pieds parce que c’est cela la beauté de notre planète. Et puis je me rends compte à quel point j’ai de la chance parce que c’est ma planète, c’est ma maison, et je veux la préserver, et j’aimerais que tout le monde m’aide à le faire.
Établir des modes de consommation et de production durables
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