Grâce aux expériences en microgravité à bord de la Station Spatiale Internationale, il est possible d’étudier le métabolisme osseux
Maria Grano, Professeure d'histologieUniversité de Bari, Italie
Pendant un séjour de six mois dans l’Espace, il y a une perte de masse osseuse comparable à celle qui se produit au sol en dix ans. En microgravité, l’os réduit sa densité minérale et développe une maladie connue sous le nom d’ostéoporose. Comprendre les causes de ce phénomène a un double objectif : étudier ce qui arrive au squelette des astronautes et ce qui se passe sur Terre au cours du vieillissement.
Interview
Je m’appelle Maria Grano, je suis professeure titulaire d’histologie et d’embryologie à la faculté de médecine de l’université de Bari. Nos recherches sont axées sur l’étude du métabolisme osseux dans des conditions physiologiques, pathologiques et de microgravité.
Notre collaboration avec les agences spatiales a commencé il y a longtemps. Nous étudions depuis plus de trente ans le tissu osseux et ses cellules, et, en particulier les conséquences de l’absence de gravité sur le corps humain, en particulier sur la perte osseuse et musculaire. Nous avons estimé que pour un séjour de six mois dans l’Espace il y a une perte de masse osseuse équivalente à ce qui se produit en 10 ans sur Terre. Lorsque les astronautes reviennent après de longs séjours, ils ont besoin d’une période de rééducation en milieu médical. Ils ne sont par exemple pas capables de marcher immédiatement. En microgravité, l’os réduit sa densité minérale en développant de l’ostéoporose qui rend l’os plus fragile et à haut risque de fracture.
Ceci est comparable à ce qui arrive à un grand nombre de personnes sur le Terre, par exemple, en Europe, où environ 500 000 personnes par an sont hospitalisées à cause de fractures ostéoporotiques, et ce nombre devrait augmenter avec l’augmentation du vieillissement de la population.
Etudier ce qui cause la perte osseuse en microgravité répond à un double objectif : Comprendre ce qui arrive aux corps des astronautes pendant un temps court, et comprendre ce qui se passe sur Terre lors du vieillissement.
Dans l’Espace, plusieurs phénomènes se produisent entraînant une accélération des processus de vieillissement cellulaire, et donc, l’Espace, pour les chercheurs, représente un modèle d’étude du vieillissement qui a l’avantage d’être réversible et ce qui n’est pas le cas sur Terre avec un vieillissement réel. Nous savons par exemple que les os des astronautes après une période, même courte, dans l’Espace se résorbent eux-mêmes et ne sont plus remplacés par de l’os nouveau.
A travers nos expériences sur des cellules osseuses conservées à bord de l’ISS, nous avons étudié ce qui se passe au niveau cellulaire afin de comprendre les effets observés au niveau macroscopique. Les résultats de nos recherches ont montré que les cellules, bien qu’elles soient très petites et isolées du reste du corps, perçoivent et réagissent à l’absence de gravité en modifiant certaines activités cellulaires. Par exemple, nous avons observé une activité accrue des cellules qui résorbent l’os, les ostéoclastes, tandis que les cellules responsables de la reformation de l’os nouveau, les ostéoblastes, ont montré une activité nettement réduite. En effet, l’effet de micropesanteur induit une surexpression de certains gènes et donc une augmentation des fonctions cellulaires associées ; d’autres gènes, en revanche, ne sont pas exprimés et par conséquent les activités connexes de la cellule sont réduites.
Il en va de même au sol lors du vieillissement contribuant à l’apparition de l’ostéoporose. Cela signifie que notre squelette se renouvelle en permanence par un processus contrôlé par des sollicitations mécaniques. L’impact de ces résultats sur le terrain est que l’alitement, même de courte durée, est très mauvais pour notre corps et en particulier pour notre système musculo-squelettique. Ainsi, même dans une mesure minime, dans la mesure du possible, nous devons toujours faire de l’exercice.
Enfin, un résultat important obtenu dans la dernière expérience envoyée à bord de l’ISS, impliquait l’action d’une molécule appelée irisine, une protéine produite par les cellules de nos muscles lors d’une activité physique. Nous avions déjà découvert, dans un environnement terrestre étudié sur des souris sous hypogravité, son rôle anabolisant sur le muscle et l’os. En fait, l’administration de la molécule à des animaux en cours de développement d’ostéosarcopénie a pu prévenir à la fois la réduction de la masse osseuse, et donc l’ostéoporose, et la réduction de la masse musculaire, donc la sarcopénie. Cette molécule testée sur des cellules osseuses à bord de l’ISS a révélé que son action est également efficace sur des cellules maintenues en microgravité où elle était capable de contrecarrer les effets négatifs de la microgravité sur les cellules osseuses. Par conséquent, les gènes qui étaient surexprimés sont revenus presque à un état normal tel qu’enregistré sur les expériences au sol réalisées en parallèle.
Ainsi, les résultats obtenus à partir des expériences menées dans l’Espace nous donnent non seulement un aperçu de ce qui se passe sur le squelette des astronautes, mais nous aident également à comprendre ce qui se passe sur Terre chez les patients souffrant d’ostéoporose ou soumis à des conditions de sédentarité marquées qui caractérisent différents groupes de patients tels que ceux atteints de maladies neurodégénératives ou contraints à de longues périodes d’hypomobilité et d’alitement pour diverses raisons.
Considérant que les agences spatiales planifient des missions à long terme (exploration de la Lune et plus encore le projet Mars), la recherche en biomédecine spatiale se concentre désormais sur l’identification de stratégies pour prévenir les dommages du système musculo-squelettique ainsi qu’à d’autres organes. Dans cette optique, nous prévoyons d’autres expériences pour étudier plus avant l’action de l’irisine sur les cellules osseuses et musculaires et nous espérons développer un médicament et/ou un supplément pour les astronautes lors de missions spatiales afin de contrecarrer les effets de la microgravité sur les muscles et les os et sur Terre pour traiter les patients ostéoprotiques et sarcopéniques.
Je veux conclure avec un message adressé spécialement aux plus jeunes visiteurs de Space For Our Planet les encourageant à suivre des études en biomédecine spatiale car, grâce à la recherche continue, nous pourrons arriver à développer des stratégies innovantes pour contrer les effets de la microgravité sur la santé.
De cette façon, les humains pourront continuer à explorer l’environnement spatial. Gardons également à l’esprit que les solutions issues des études spatiales peuvent être appliquées sur Terre pour améliorer la santé de nombreux groupes de patients.
Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge
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