J’étudie la migration des chauves-souris grâce à des données transmises depuis la Station spatiale internationale
Dina Dechmann, Directrice de Recherche
Max Planck Institute for Animal Behavior, Radolfzell, Germany
J’étudie la migration des chauves-souris frugivores en Afrique. Pour comprendre leurs migrations, nous avons besoin de données très précises sur les conditions de ce voyage à haut risque. Dans le cadre du projet ICARUS (International Cooperation for Animal Research Using Space), nous avons développé des émetteurs spécifiquement pour les chauves-souris qui transmettent ces informations essentielles à la Station spatiale internationale. Cette innovation est un pas de géant dans l’étude des migrations animales. Et elle nous permettra de mieux comprendre l’évolution du climat, la préservation de la biodiversité et la propagation des maladies infectieuses.
Interview
Je suis Dina Dechmann, directrice de recherche à l’Institut Max Planck pour le comportement animal à Radolfzell, en Allemagne. Avec mon équipe, nous étudions principalement les musaraignes et les chauves-souris, en nous concentrant sur les « adaptations éphémères aux ressources », c’est-à-dire sur les adaptations des animaux aux fluctuations de la ressource et de la disponibilité alimentaire pendant des périodes de courte et de longue durée.
Je mène ces recherches en Allemagne, mais aussi sur d’autres continents, notamment en Afrique et en Amérique centrale.
Je m’intéresse à la migration des animaux parce que c’est un phénomène fascinant mais extrêmement risqué dans la vie d’animal. Il doit se déplacer en terrain inconnu ou du moins sur un territoire qu’il n’a pas traversé depuis sa dernière migration. Il doit trouver chaque jour de la nourriture et un endroit pour se reposer, tout en étant exposé à différents risques de prédation.
La motivation à migrer doit donc être très forte. Et chez les chauves-souris, cela est démontré par le fait que, sur plus de 1 400 espèces de chauves-souris, seule une très petite poignée d’entre elles ont développé la migration comme stratégie, et en particulier les chauves-souris que j’étudie en Afrique – une grande espèce de chauve-souris frugivore.
Ce sont les seules chauves-souris frugivores africaines qui effectuent des migrations saisonnières sur de longues distances. Et c’est pour cela que je suis si curieuse de savoir pourquoi elles le font et où elles vont.
Nous avons besoin suivre les migrations des animaux avec précision, mais malheureusement cela n’était pas possible jusqu’à présent car les études reposaient sur des procédés de baguage ou d’observations à différents points le long des routes migratoires des chauves-souris. Une chauve-souris est baguée quelque part, puis elle est recapturée à un autre endroit, qui n’est peut-être pas le point final de sa migration. Nous ne savons rien de ce qu’elle fait entre ces étapes, de l’événement déclencheur de sa décision de migrer et ni même de l’influence de la météo, de la situation alimentaire locale, ou de son cycle de reproduction sur la migration. Nous avons donc besoin de données plus précises. Pendant les dernières décennies, la seule façon de suivre la migration des petits animaux était d’utiliser des émetteurs satellites, où un satellite recherchait une étiquette de taggage attachée sur un animal. Malheureusement les marges d’erreur étaient élevées, parfois de plusieurs centaines de kilomètres. Et comme nous nous intéressons aux risques auxquels les animaux sont exposés localement, à leur nourriture et à la durée des étapes, nous devons donc pouvoir cerner leur mouvement jusqu’à l’arbre exact où ils passent la journée. Nous avons donc besoin de niveaux de précision très élevés pour vraiment comprendre la migration et les risques, les coûts et les avantages qu’elle implique.
Le plus grand défi auquel nous avons été confrontés dans l’étude des migrations des chauves-souris – et j’essaie de suivre la migration de cette chauve-souris en particulier depuis 2008 – c’est celui des émetteurs. Tout ce qui utilise le GPS consomme beaucoup d’énergie et nécessite donc une certaine taille de batterie. Or, il existe une règle dans le monde des chauves-souris selon laquelle nous ne pouvons pas mettre plus de 5% de la masse corporelle de l’animal dans le poids de l’émetteur. Cela nous limite donc vraiment. Les espèces de chauves-souris comme les renards volants ne peuvent peser que 180 grammes. Ce qui implique une étiquette de taggage de neuf grammes qui n’aura qu’une très faible autonomie. Il faudra donc ou recapturer l’animal ou s’en approcher suffisamment pour télécharger les données, impliquant une forte consommation d’énergie. Ainsi, pendant longtemps, les limitations d’électricité ont été notre principal problème. Ceci est vrai pour tous les suivis de petits animaux, pas seulement les chauves-souris, mais avec les chauves-souris, nous avons le problème supplémentaire qu’elles sont nocturnes et que la plupart des petites balises GPS sont alimentés avec panneaux solaires.
Les balises Icarus sont une réelle nouveauté car elles fonctionnent à l’énergie solaire, mais les panneaux solaires ont été développés dès le début spécialement pour les chauves-souris frugivores, et ils peuvent être chargés avec une exposition partielle. C’était indispensable. L’autre impératif était de développer un très bon calendrier de programmation qui limiterait le temps pendant lequel une balise recherche des satellites. Nous allons donc pouvoir utiliser la technologie GPS au lieu de la technologie satellite. L’avantage d’un enregistreur GPS est qu’il s’agit d’un appareil qui recherche des satellites. Vous pouvez paramétrer l’enregistrement de la position en combinant le contact avec plusieurs satellites. Cela augmente énormément le niveau de précision. Enfin les balises Icarus – et c’est un avantage important – envoient ensuite l’information à l’ISS lors de son passage. De cette façon, nous pouvons obtenir les données sans avoir à récupérer l’étiquette de taggage.
Il est donc important de suivre la migration en détail pour vraiment comprendre ce qui motive la migration et pourquoi. Nous sommes à peu près sûrs que la migration est liée à la disponibilité des ressources alimentaires. Nous utilisons aussi l’Espace dans nos études pour croiser les informations dont nous disposons sur le trajet des chauves-souris avec des images satellites analysant l’évolution de la végétation dans le paysage et nous pouvons voir si la migration des chauves-souris suit cette “vague verte” qui traverse le continent africain.
Pour la chauve-souris frugivore africaine, un facteur supplémentaire est que, d’une part, elles sont sans doute le mammifère le plus nombreux d’Afrique, elles sont donc très, très communes. Elles vivent dans d’immenses colonies de parfois des millions d’animaux, souvent au milieu des villes – ce que nous ne comprenons pas du tout. Mais d’un autre côté, elles font face à une grande menace. On ne parle des chauves-souris que sous l’angle sanitaire. Cette espèce de chauve-souris en particulier a été examinée à maintes reprises, et personne n’a jamais trouvé de lien de transmission de la maladie, mais juste la preuve d’un contact passé avec la maladie. Et donc oui, les gens coupent les arbres de refuge des chauves-souris et les chassent activement. Dans de nombreux pays, ils les tuent et les chassent pour les manger. Et donc partout, nous voyons leur nombre diminuer et nous sommes très inquiets. Nous pensons qu’ils sont comme le pigeon voyageur aux États-Unis où il y en avait aussi un grand nombre. Les gens les chassaient aussi en pensant : « Ouais, on en a assez, il y en a plein ». Mais quand ils sont tombés en dessous d’un certain niveau de population, tout d’un coup, ils ont tous disparu. C’est ce qu’on appelle un effet allee. Nous craignons de voir quelque chose de similaire chez les renards volants. Cela ne sera pas uniquement préjudicable parce que ce sont des espèces de chauves-souris mignonnes, mais parce qu’elles sont une espèce clé dans les écosystèmes africains, ce sont des pollinisateurs et des propagateurs de graines extrêmement importants, et peut-être le plus important diffuseur de semences car il n’y a pas beaucoup d’animaux qui mangent des fruits puis quittent la forêt. Les gazelles, les singes, les oiseaux, la plupart d’entre eux resteront toujours sous la protection de la forêt pour être à l’abri de la prédation. Mais les renards volants couvrent des paysages ouverts et des paysages déboisés. Ils gardent les graines dans leurs intestins pendant longtemps, puis défèquent pendant le vol, ce que les autres animaux ne font pas non plus. Nous avons donc pu prouver qu’il s’agit probablement de l’espèce la plus importante pour le reboisement des zones déforestées et pour le transport des graines, contribuant à la régénération le paysage africain. Donc, si ces chauves-souris venaient à disparaître, ce sera à cause de nous. Et ce sera catastrophique pour l’Afrique.
Donc mon message à tous ceux qui nous écoutent serait : s’il vous plaît, ne voyez pas les chauves-souris comme un ennemi. Chaque animal peut transmettre des maladies, y compris les êtres humains. Je pense que nous sommes le pire transmetteur de maladies, y compris pour les chauves-souris. Bien sûr, les chauves-souris peuvent parcourir de grandes distances et donc peut-être transporter la maladie assez loin, mais il apparaît également que les chauves-souris ont un excellent système immunitaire et peuvent très bien faire face aux maladies. Elles ne se reproduisent pas souvent et ne répandent pas de virus transmis à d’autres animaux. Il y a probablement une période de temps extrêmement courte, voire inexistante, pendant laquelle une chauve-souris entre en contact avec une maladie et elle ne meurt presque jamais de cette maladie. Pour moi, les chauves-souris nous fournissent un modèle pour comprendre comment faire face à la maladie plutôt qu’une raison d’avoir peur. Quiconque fait attention à son interaction personnelle avec les chauves-souris n’est jamais en danger. Alors s’il vous plaît rappelez-vous tout ce qu’elles nous apportent, plutôt que de savoir si vous devez en avoir peur.
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