ODD 12. Consommation et production durables

L’isolement, polaire ou spatial, nous apprend à vivre de manière plus responsable et à protéger les ressources de notre planète

Les températures peuvent descendre jusqu'à -80°C en hiver, avec une moyenne annuelle de -50°C. La température au moment de cette image était de -65 °C, avec un refroidissement par le vent à environ -80 °C.

Nadja Albertsen, Médecin, Aalborg, Danemark

J’ai habité 13 mois en Antarctique dans la station scientifique de Concordia, où j’étais médecin chercheur pour l’ESA. Habiter en Antarctique est une expérience unique: vivre avec des ressources limitées pendant un temps relativement long. Vous êtes entourée par la glace, mais malgré tout l’eau reste une ressource précieuse recyclée à 80%. C’est un lieu d’expérimentations pour l’exploration spatiale, qui nous apprend également à vivre de manière plus responsable et à protéger notre planète Terre.

Interview

Image: Nadja Albertsen

Je m’appelle Nadja Albertsen.

Je suis médecin et anthropologue de la santé. Je travaille actuellement en tant que doctorante sur un projet conjoint dano-groenlandais sur les arythmies cardiaques et je suis basée à Aalborg.

Auparavant, j’ai travaillé au Danemark et au Groenland et j’ai passé 13 mois à Concordia en Antarctique de novembre 2018 à novembre 2019, où j’étais médecin de recherche pour l’Agence spatiale européenne (ESA), ce qui signifie que je menais différents projets scientifiques. J’étais également responsable de l’échantillonnage de l’eau et de la gestion de l’équipe de sauvetage locale dans la base.

Située sur le plateau montagneux appelé Dome C, Concordia est une collaboration entre l'Institut polaire français et le programme antarctique italien. C'est l'une des trois seules bases habitées toute l'année en Antarctique. Chaque année, l'ESA parraine un docteur-chercheur pour poursuivre des études sur les effets psychologiques, physiologiques et sociaux de la vie en milieu isolé, confiné et extrême. Cette image montre l'utilisation d'un LIDAR (Light Detection and Ranging instrument) une technique de télédétection qui utilise la lumière pour recueillir des informations sur l'atmosphère, y compris la densité, la température, la vitesse du vent, la formation de nuages et les particules aérosoles.
Image: ESA/IPEV/PNRA–S. Thoolen

La vie à Concordia, et en Antarctique en général, est particulière.  Il y a 2 saisons : un été très court de novembre à février, où le soleil ne se couche jamais et il fait assez chaud autour de -20°C –  la base est alors très chargée, il y a beaucoup de scientifiques et de techniciens. À Concordia, il y a de la place pour environ 60 personnes et à certains moments de l’été, nous étions presque 100, donc c’était vraiment très occupé. Puis, en février, les températures commencent à chuter aux alentours de -40 °C, -50 °C, de sorte que les avions ne peuvent plus décoller ou atterrir à Concordia. L’hiver commence et la base ferme ses portes. Pendant les 9 mois suivants, nous n’étions que 13 personnes dans la base, réalisant différents projets scientifiques et vivant une vie très isolée.

Vivre en isolement pendant 9 mois était une expérience très spécial. C’est quelque chose que vous devez savoir avant de partir car c’est vraiment un isolement extrême. Lorsque les températures sont si basses, vous ne pouvez pas quitter la base et vous ne pouvez obtenir aucune aide de l’extérieur, donc si quelque chose se passe dans la base, comme une panne de courant ou une urgence médicale, vous devez vous débrouiller.

Il faudra peut-être évacuer la base et vivre dans des tentes, et en cas d’urgences dans la base, ou si quelqu’un se blesse, nous avons un hôpital où nous pouvons soigner les patients.

Cela signifie également que vous devez être capable d’être complètement autonome. Vous devez avoir tout ce dont vous avez besoin : de la nourriture, les moyens de produire de la chaleur, de l’électricité, et de l’eau. Et vous devez apporter suffisamment de dentifrice pour un an, et de la lotion pour le corps, tout ce genre de choses!

L'Antarctique : le lieu le plus isolé sur Terre. La station de recherche Concordia est une collaboration entre l'Institut polaire français et le programme antarctique italien. C'est l'une des trois seules bases habitées toute l'année, située sur un plateau montagneux appelé Dome C. Sur cette image : l'observatoire astronomique près de la base.
Image: B.Healey/ESA/IPEV/PNRA
Située sur le plateau montagneux appelé Dome C, Concordia est une collaboration entre l'Institut polaire français et le programme antarctique italien. C'est l'une des trois seules bases habitées toute l'année en Antarctique. En plus d'offrir environ neuf mois d'isolement complet, l'emplacement de Concordia à 3233 m d'altitude signifie que l'équipage souffre d'hypoxie hypobare chronique - un manque d'oxygène dans le cerveau. Avec l'isolement, c'est l'une des raisons pour lesquelles l'Agence Spatiale Européenne (ESA) utilise Concordia comme lieu d'expérimentations pour l''exploration spatiale.
Image: Nadja Albertsen

il y a aussi la question de l’eau qui est vraiment intéressante. Lorsque vous vivez en Antarctique, vous êtes entouré de glace et donc entouré d’eau, mais pour avoir de l’eau potable, vous devez sortir et vous devez collecter de la neige ou de la glace dans un endroit où il n’y a pas de pollution, vous devez la ramener à la base, vous devez la faire fondre. Pour boire de l’eau, il faut ajouter des minéraux. La station Concordia est assez haute en altitude, à environ 3000 mètres d’altitude, donc l’air est vraiment sec, et vous perdez beaucoup d’eau, donc vous devez aussi boire beaucoup d’eau, et donc la consommation d’eau est élevée. Vous devez également utiliser de l’eau pour la nourriture, pour vous doucher, pour laver vos vêtements, nettoyer. Il y a une unité de filtrage de l’eau qui est vraiment cool et grâce à laquelle nous pouvons recycler 80% de l’eau, ce qui fait une grande différence. L’été de notre départ, l’été antarctique de 2019, cette unité de traitement de l’eau était en réparation, donc mise hors d’usage. Un mécanicien a été chargé de ramasser de la glace, passant d’abord peut-être 1 heure par jour à ramasser de la glace, puis cela est devenu un travail à temps plein – il passait littéralement toute la journée à ramasser de la glace. Vous apprenez donc vraiment à quel point l’eau est une ressource précieuse…vous devez donc également prendre des douches très courtes!

Quelles sont les raisons pour lesquelles l’Agence spatiale européenne (ESA) utilise la station Concordia comme une sorte de modèle pour les voyages dans l’espace? La première raison est d’étudier l’isolement qui est évidemment constant dans l’Espace: vous devez compter sur une petite équipe, vous devez apporter tout ce dont vous avez besoin, et vous devez être conscient que si quelque chose arrive, vous devrez peut-être attendre longtemps avant que quelqu’un ne puisse vous aider. Il y a donc des similitudes dans cet isolement physique. Ill y a aussi l’hypoxie. Lorsque vous allez dans l’Espace, vous devez prendre de l’oxygène, il est donc intéressant de savoir comment l’hypoxie affecte les gens. Si vous pouvez vivre avec un peu moins d’oxygène que d’habitude, cela signifie que vous pouvez emporter un peu moins dans l’Espace. Et cela peut être vraiment intéressant. Ensuite, il y a tout ce qui lié à la dynamique de groupe – comment constituer une équipe qui peut bien fonctionner dans ces circonstances, quel genre de personnes sont bien adaptées pour vivre dans ces conditions ? avec quelles personnalités? Il y a également l’étude des réactions physiques et mentales à court terme mais aussi à long terme : par exemple, si nous perdons de la masse musculaire et osseuse, combien de temps faut-il pour redevenir normal – si cela redevient normal – et si non, alors pourquoi. Il y a beaucoup de similitudes, mais aussi quelques différences, notamment la gravité. L’absence de gravité dans l’espace est très importante pour les changements physiques que subissent les astronautes. Le rayonnement  spatial est également une différence importante.

Pendant l'hiver antarctique, l'équipage réduit à moins de 15 personnes subit quatre mois d'obscurité totale : le soleil disparaît à partir de mai pour ne reparaitre qu'à la fin du mois d'août.
Image: Nadja Albertsen

Voici le message que je voudrais adresser aux visiteurs de l’exposition : arrêtez vous quelques minutes, faites une pause et prenez conscience de la vie autour de vous, ses odeurs et les sons de la nature qui vous entoure, et essayez de redécouvrir le monde. Partez pour un temps loin de toutes les facilités de votre vie, essayez d’aller quelque part où il n’y a ni téléphone ni connexion Internet, quelque part où vous devez allez à l’extérieur et trouver votre propre eau, ou quand vous allez aux toilettes, vous devez creuser un trou dans le sol ou quelque chose comme cela.

Essayez de prendre conscience du travail qui se cache derrière la vie luxueuse que la plupart d’entre nous vivons aujourd’hui en Europe.

Partez pour un temps loin de toutes les facilités de votre vie, essayez d’aller quelque part où il n’y a ni téléphone ni connexion Internet, quelque part où vous devez allez à l’extérieur et trouver votre propre eau, ou quand vous allez aux toilettes, vous devez creuser un trou dans le sol ou quelque chose comme cela. Essayez de prendre conscience du travail qui se cache derrière la vie luxueuse que la plupart d’entre nous vivons aujourd’hui en Europe.

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