ODD 9. Industrie, innovation et infrastructure

Nous allons pouvoir suivre le comportement des glaciers en temps réel

Des scientifiques travaillant sur la calotte glaciaire du Groenland dans le cadre d'un effort international visant à développer de nouvelles technologies spatiales pour surveiller l'évolution de notre environnement polaire.

Elizabeth Bagshaw, Glaciologue
Cardiff University, Royaume-Uni

Pour les glaciologues qui travaillent dans les régions polaires, la transmission des données est un vrai problème. Il n’y a ni réseau téléphonique, ni WIFI, ni électricité. Grâce à Astrocast, une constellation de satellites lancée en partenariat avec l’ESA, nous allons recevoir quotidiennement les informations scientifiques essentielles pour comprendre la fonte des glaces.

Interview

Elizabeth Bagshaw
Photo: Lisa Mol

Je suis glaciologue et maître de conférences à l’Université de Cardiff au Royaume-Uni. Mes recherches portent sur les moyens de mesurer le comportement de l’eau de fonte des glaciers que ce soit au dessus ou au dessous de la calotte glaciaire du Groenland. Nous voulons savoir quel sera l’impact de l’augmentation des températures sur les calottes glaciaires. En ce qui concerne le Groenland et l’Antarctique, nous savons qu’à mesure que les températures augmentent, la glace fond en surface. Et nous savons que cette eau de fonte doit s’évacuer quelque part depuis la surface du glacier.

Un rapport récent confirme que les calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique, dont les taux de fonte augmentent rapidement, correspondent aux pires scénarios de réchauffement climatique du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
Photo: ESA / I. Joughin

Pour de nombreuses calottes glaciaires, l’eau de fonte part dans des trous appelés moulins.

L’eau s’enfonce dans la glace en creusant un trou. Elle se retrouve ensuite sous la glace, emprisonnée entre la couche de glace dure au-dessus et le substrat rocheux dur en dessous. Avec cette couche d’eau, la glace s’écoule beaucoup plus rapidement car la friction liée à la vitesse de givrage a été réduite. Le problème est que cela peut provoquer un écoulement beaucoup plus rapide encore de la glace vers la mer. Et comme il s’enfonce dans la mer, le glacier finit à plus basse altitude et fond plus vite.

On se retrouve donc avec une fonte plus importante et une augmentation accrue du niveau de la mer. Cependant, cela n’est pas toujours aussi simple qu’on l’imagine. En étudiant les glaciers alpins, nous avons ainsi constaté que l’eau de fonte s’organise sous la glace en canaux fluviaux, tout comme sur terre, avec une série de canaux où l’eau préfère s’écouler. Ces canaux réduisent le frottement sur certaines zones du lit. Ainsi, après cette accélération initiale, la glace recommence à ralentir, ce qui signifie qu’il existe une relation compliquée entre la fonte qui se produit à la surface de la glace et l’élévation du niveau de la mer à venir. Ce que nous essayons de faire, c’est de déterminer où et quand ces canaux se forment et nous le faisons en mesurant la pression, la température et un certain nombre d’autres paramètres sous la glace. Avec ces mesures, nous voulons connaître là où ces canaux pourraient se former et de la façon dont ils pourraient se comporter à l’avenir.

Cette image montre le changement d'altitude annuel de la calotte glaciaire du Groenland en 2015, en utilisant un enregistrement de 25 ans de données satellitaires de l'ESA. Des recherches récentes montrent que le rythme auquel le Groenland perd de la glace s'accélère. Ce travail de recherche, publié dans Earth and Planetary Science Letters, utilise les données altimétriques radar recueillies par les missions ERS, Envisat et CryoSat entre 1992 et 2016.
Image: ESA/Planetary Visions

Le problème pour transmettre nos mesures reste cependant la profondeur sous la glace ; Celle-ci peut en effet atteindre 3 à 4 kilomètres d’épaisseur. Faire des mesures sous la glace et les remonter à la surface constitue un véritable défi. C’est pour cela que nous avons développé le « Cryoegg », une technologie qui peut prendre les mesures dont nous avons besoin sous la glace puis les transmettre de la base du glacier jusqu’à la surface.

Glacier Jakobshavn, Groenland, mission Sentinel 2, Copernicus La fonte du glacier Jakobshavn, l'un des plus dynamiques au monde a contribué à la plus grande perte de glace du Groenland.

Les systèmes cellulaires ne couvrent que 10% de la surface du globe. Dans les topographies extrêmes telles que les déserts, les zones glaciaires, les montagnes, les forêts, etc., l'Internet des objets (IoT) combiné à une constellation de satellites en orbite basse offre une nouvelle façon de suivre, mesurer et communiquer avec des équipements n'importe où sur Terre. Les appareils connectés peuvent échanger des données automatiquement, de manière fiable et à un coût raisonnable, avec une couverture mondiale. Cette technologie utilisant les services de communication spatiale ouvrent un large éventail d'opportunités pour les applications industrielles, les activités maritimes et la recherche environnementale et nous permettent de surveiller l'utilisation d'infrastructures  et d'améliorer la logistique dans les zones les plus reculées du monde.
Photo: ESA, mission Sentinel 2, Copernicus

Cryoegg est un appareil de la taille d’un pamplemousse que nous fabriquons dans nos ateliers de Cardiff. Il renferme des capteurs qui mesurent la température et la pression de l’eau sous la glace et la conductivité électrique de cette eau.

La conductivité électrique nous donne des informations sur la durée pendant laquelle l’eau a été stockée sous la glace. Les données sont ensuite enregistrées par le Cryoegg et transmises à la surface à l’aide d’une puce radiofréquence intégrée. Parce qu’il est sans fil et sans câble, Cryoegg peut se déplacer sous la glace et donner de nombreuses informations sur les caractéristiques de l’eau.

Mais une fois que le Cryoegg a renvoyé les données à la surface, nous devons trouver un moyen de les transmettre à notre laboratoire de recherche au Royaume-Uni. Si vous travailliez dans une zone densément peuplée, vous pourrez utiliser les technologies de téléphonie mobile ou le wifi pour envoyer ce genre de données. Mais au milieu de la calotte glaciaire, il n’y a pas de couverture de téléphonie mobile et il n’y a certainement pas de Wi-Fi.

Nous devons donc nous appuyer sur les technologies spatiales pour envoyer ces données et les exploiter.

Canaux d'eau de fonte à la surface du glacier Russell au Groenland. Le matériau sombre est un mélange de saleté soufflée par le vent et de matière microbienne qui peut accélérer la fonte de la glace.
Photo: LIz Bagshaw

Notre récepteur envoie un petit bip de données plusieurs fois par jour qui coïncide avec le moment où le satellite passe au-dessus de lui. Le satellite reçoit les données, puis les renvoie à nos ordinateurs personnels lorsqu’il survole notre pays. C’est donc un moyen très pratique pour récupérer des données éviatant une présence humaine sur place pour télécharger les données avec son ordinateur portable. Cryoegg peut aller explorer sous la glace et renvoyer les données quasiment en temps réel. Et ces mesures peuvent être exploitées même si nous ne sommes pas dans les régions polaires.

Jusqu’à présent, les technologies satellitaires restaient assez chères, mais ces dernières années, nous avons vu apparaitre une nouvelle génération de constellations de satellites capables de transmettre ce genre de données à moindre coût, comme le service Astrocast.

Nous pouvons ainsi envoyer des petites quantités d’informations mais très, très régulièrement. Par ailleurs ce service ne nécessite que très peu d’électricité pour fonctionner. Et c’est un réel avantage quand on travaille dans les régions polaires où il n’y a pas non plus de réseau électrique. Nous pouvons utiliser des batteries et et l’énergie solaire pour faire fonctionner tous nos instruments. Certains des premiers modèles de modem satellite utilisaient énormément de puissance. Et nous avons dû en tenir compte lors de la conception de nos stations de réception. Astrocast est intéressant parce que le module émetteur est assez peu puissant, tout en étant peu coûteux, et il est assez petit. Cela signifie que nous pouvons tout emballer dans notre boîtier émetteur-récepteur, le laisser à la surface de la calotte glaciaire et attendre que les données reviennent à la maison.

Cryogg renferme des capteurs qui mesurent la température et la pression de l'eau sous la glace et la conductivité électrique de cette eau. Il peut aller explorer sous la glace et renvoyer les données quasiment en temps réel.
Photo: Mike Prior-Jones

Le message que je voudrais faire passer aux visiteurs de cette exposition est que la glaciologie est une science qui a été rendue possible en combinant des domaines d’expertise différents.

C’est le travail d’équipe qui a été à la source cette technologie. Et c’est grâce au travail d’équipe que nous allons résoudre le problème de la fonte des calottes glaciaires et de la façon dont elles vont réagir à l’avenir. Notre équipe de scientifiques réunit des glaciologues, des modélisateurs de calotte glaciaire, des modélisateurs climatiques et des ingénieurs, des personnes qui travaillent au développement de nouveaux instruments, d’autres qui travaillent sur les télécommunications, l’Espace et les technologies satellitaires. Tous ensemble, nous avons déjà pu répondre à certaines des grandes questions. Nous espérons poursuivre ce travail à l’avenir et découvrir comment nos calottes glaciaires vont réagir au changement climatique.

Gallery

Cette image montre l'utilisation des données de la mission Copernicus Sentinel-1 pour la cartographie régulière et la surveillance de la vitesse de surface des glaciers et des calottes glaciaires. La combinaison de Sentinel-1A et -1B permet une surveillance complète et à long terme des changements de vitesse de la calotte glaciaire et de leur réaction au changement climatique.
Sentinel-3A fournit des mesures de topographie précises sur la banquise, les calottes glaciaires, les rivières, les lacs et les terres. Comme le montre cette image de l'Antarctique, l'altimètre radar est également important pour mesurer les changements de hauteur de la glace terrestre.
Des fournitures vitales arrivent par hélicoptère au camp de base sur le glacier Sermeq Kujalleq au Groenland.
Bassins d'eau de fonte de surface à Sermeq Kujalleq au Groenland. Cette eau de fonte va se frayer un chemin jusqu'au fond de la glace à travers un réseau de fissures, crevasses et moulins.
Un rapport récent confirme que les calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique, dont les taux de fonte augmentent rapidement, correspondent aux pires scénarios de réchauffement climatique du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
Un rapport récent confirme que les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, dont les taux de fonte augmentent rapidement, correspondent aux pires scénarios de réchauffement climatique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Photo: ESA / I. Joughin
Cette image montre l'utilisation des données de la mission Copernicus Sentinel-1 pour la cartographie régulière et la surveillance de la vitesse de surface des glaciers et des calottes glaciaires. La combinaison de Sentinel-1A et -1B permet une surveillance complète et à long terme des changements de vitesse de la calotte glaciaire et de leur réaction au changement climatique.
Cette image montre l’utilisation des données de la mission Copernicus Sentinel-1 pour la cartographie régulière et la surveillance de la vitesse de surface des glaciers et des calottes glaciaires. La combinaison de Sentinel-1A et -1B permet une surveillance complète et à long terme des changements de vitesse de la calotte glaciaire et de leur réaction au changement climatique. Image: ESA/ modified Copernicus Sentinel data (2015), processed by Enveo
Sentinel-3A fournit des mesures de topographie précises sur la banquise, les calottes glaciaires, les rivières, les lacs et les terres. Comme le montre cette image de l'Antarctique, l'altimètre radar est également important pour mesurer les changements de hauteur de la glace terrestre.
Sentinel-3A fournit des mesures de topographie précises sur la banquise, les calottes glaciaires, les rivières, les lacs et les terres. Comme le montre cette image de l’Antarctique, l’altimètre radar est également important pour mesurer les changements de hauteur de la glace terrestre. Image: ESA/modified Copernicus Sentinel data (2015), processed by UCL–MSSL
The image shows Greenland ice-sheet annual elevation change in 2015, but using a 25-year record of ESA satellite data, recent research shows that the pace at which Greenland is losing ice is getting faster. The research, published in Earth and Planetary Science Letters, uses radar altimetry data gathered by the ERS, Envisat and CryoSat missions between 1992 and 2016.
The image shows Greenland ice-sheet annual elevation change in 2015, but using a 25-year record of ESA satellite data, recent research shows that the pace at which Greenland is losing ice is getting faster. The research, published in Earth and Planetary Science Letters, uses radar altimetry data gathered by the ERS, Envisat and CryoSat missions between 1992 and 2016. Image: ESA/Planetary Visions
Cryogg renferme des capteurs qui mesurent la température et la pression de l'eau sous la glace et la conductivité électrique de cette eau. Il peut aller explorer sous la glace et renvoyer les données quasiment en temps réel.
Cryogg renferme des capteurs qui mesurent la température et la pression de l’eau sous la glace et la conductivité électrique de cette eau. Il peut aller explorer sous la glace et renvoyer les données quasiment en temps réel. Photo: Mike Prior-Jones
Des fournitures vitales arrivent par hélicoptère au camp de base sur le glacier Sermeq Kujalleq au Groenland.
Des fournitures vitales arrivent par hélicoptère au camp de base sur le glacier Sermeq Kujalleq au Groenland. Photo: Mike Prior-Jones
Bassins d'eau de fonte de surface à Sermeq Kujalleq au Groenland. Cette eau de fonte va se frayer un chemin jusqu'au fond de la glace à travers un réseau de fissures, crevasses et moulins.
Bassins d’eau de fonte de surface à Sermeq Kujalleq au Groenland. Cette eau de fonte va se frayer un chemin jusqu’au fond de la glace à travers un réseau de fissures, crevasses et moulins. Photo: Mike Prior-Jones
Canaux d'eau de fonte à la surface du glacier Russell au Groenland. Le matériau sombre est un mélange de saleté soufflée par le vent et de matière microbienne qui peut accélérer la fonte de la glace.
Canaux d’eau de fonte à la surface du glacier Russell au Groenland. Le matériau sombre est un mélange de saleté soufflée par le vent et de matière microbienne qui peut accélérer la fonte de la glace. Photo: LIz Bagshaw
Scientists working on the Greenland ice sheet as part of an international effort to develop new space technology to monitor our changing polar environment.
Scientists working on the Greenland ice sheet as part of an international effort to develop new space technology to monitor our changing polar environment. Photo: ESA/ Metasensing
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